Un (mystérieux) voyage aux Pays-Bas, 1910

©Association Atelier Mathilde Delattre, octobre 2025

Mathilde Delattre effectue en juin 1910, alors qu’elle est reconnue aux Salons comme peintre de fleur, reçoit de nombreux prix et a de nombreuses élèves, un « mystérieux » voyage en bus automobile aux Pays-Bas. Sa famille a retrouvé en 2022, sans autre information, des plaques photographiques argentiques stéréoscopiques de cette expédition. L’ « expédition » emportait également du matériel d’enregistrement sonore sur rouleaux, peut-être livreront-ils un jour leur secret…La photographie de l’artiste ci-dessous en est extraite : en compagnie de ses hôtes néerlandais, elle navigue alors vraisemblablement sur des canaux dans l’intérieur du pays. Un voyage en marge d’une exposition à la Société d’Horticulture, pour se rendre sur le centre européen de commercialisation de fleurs?

L’année précédente, Mathilde Delattre a peint « Dans la serre », une très (trop ?) grande aquarelle… Ici, son hôte, et/ou une compagne de voyage.

En compagnie de l’hôte néerlandais, sur l’eau

Incident de parcours… L’automobile doit avoir recours à la force animale pour se sortir du fossé !

Les dames ont quitté leur galerie supérieure pour le pique-nique (Mathilde Delattre est le 5è personnage à partir de la gauche).

Inspirée par la photographie de Mathilde ci-dessus, Daisy&Cie nous propose son interprétation. Une analyse en va-et-vient:

L’image de 1910 allait sur la trace d’une modernité naissante. La photographie capte une femme à la fois dans la réserve et l’assurance: 1909, c’est un moment où les femmes artistes commencent à s’affirmer, mais restent souvent marginalisées dans les institutions. Légèrement penchée, la main posée sur un support, elle regarde vers le bas, entre réflexion et retrait. Le chapeau à large bord et ornement, la fourrure, l’élégance sobre, inscrivent l’artiste dans une bourgeoisie mobile, qui voyage.

L’artiste contemporaine opère une transmutation expressive du document ancien: la gamme resserrée sur les bleus, blancs et rouges rosés transforme le réalisme photographique en champ émotionnel. Les traits sont suggérés plus que dessinés, comme si l’artiste voulait rendre visible le souvenir plutôt que le modèle. Le regard, abaissé, demeure fidèle à l’attitude photographique, mais il devient plus méditatif, presque intérieur. Les coups de brosse vibrants, l’empâtement partiel, donnent au portrait une respiration absente du cliché. C’est une “mise au monde” nouvelle de la même figure, plus émotionnelle que documentaire; l’acrylique, rapide et fluide, s’oppose à la lente pose photographique d’antan.

En 1910, la femme est encore objet photographié ; en 2024, elle devient sujet pictural, regardée par une autre femme qui la réinvente. Le bleu du tableau pourrait être lu comme la couleur du lien : entre mer et ciel, entre hier et aujourd’hui, entre deux femmes créatrices séparées par plus d’un siècle.

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