Perros, dans le parc

Perros, dans le parc. Années 1900-1910. Peinture à l’huile sur panneau 24 cm x 16 cm. Collection particulière.

Titre attribué.

La composition de ce petit panneau est dense, foisonnante de végétation jaune dorée et brun-vert. Les coups de pinceau sont libres, nerveux. On distingue — légèrement dissimulé — un banc au centre gauche, partiellement englouti par la nature. L’espace est saturé de feuillage : le ciel n’apparaît qu’en touches grises et bleutées dans la partie supérieure. On peut lire cette profusion végétale automnale comme une méditation sur la vie qui continue malgré la destruction humaine, cette œuvre ayant sans doute été réalisée à l’approche ou pendant le premier conflit mondial, et l’artiste alors souvent réfugiée en Bretagne.

Le banc en partie caché par la végétation est une métaphore du souvenir et du temps qui passe. Il est le lieu où quelqu’un s’est peut-être assis — mais où il n’y a plus personne. Cela peut évoquer l’absence d’un être cher. La dominance du jaune et du doré n’est pas seulement naturaliste : elle traduit une intensité intérieure, presque mystique. Ce n’est pas la lumière du soleil mais celle d’un souvenir ou d’un espoir intérieur. Il y a aussi de la tendresse et de la paix dans cette absorption, le retour à la nature devient réconciliation.

Le style est à mi-chemin entre impressionnisme et symbolisme intimiste. La touche expressive, la matière presque vibrante, traduisent une tentative de capter l’âme du paysage plutôt que sa simple apparence.

On peut aussi envisager une lecture symbolique à fondement lesbien. Dans beaucoup d’œuvres de femmes artistes autour de 1900–1920, la nature devient un refuge symbolique de la sensibilité et du désir féminin. Ici, la végétation dense enveloppe le banc, objet souvent associé à la conversation, à la rencontre discrète, voire à la complicité amoureuse, et occupe tout l’espace, au point d’effacer le ciel ou toute figure masculine. Ce geste pictural — centrer la nature et effacer la présence d’éléments « extérieurs » — peut être lu comme une affirmation d’un univers féminin autonome, émotionnel et sensuel. Dans une lecture queer, cette nature saturée de jaune doré et de bruns chauds devient le lieu d’une intimité féminine, et on peut y lire le symbole d’une relation cachée, d’un amour discret ou invisible. Dans le contexte de l’époque, les relations entre femmes étaient en effet vécues dans le non-dit, le secret ou la métaphore — la peinture offrait un espace de codage symbolique pour exprimer ces émotions. 

Ce n’est pas un simple paysage, mais presque une figure sensuelle de la nature, un corps végétal vibrant. Il peut figurer un jardin secret,  le bonheur d’aimer autrement, à l’écart du monde social. Vers 1910–1920, plusieurs artistes femmes (par exemple Marie Laurencin, Romaine Brooks, ou encore des écrivaines comme Colette ou Natalie Barney) ont utilisé la nature, le jardin ou la lumière dorée comme métaphore d’un monde sentimental féminin autonome.

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