MD est admise au SAF à 18 ans

Mathilde est admise au Salon des Artistes Français à 18 ans

De toutes ces traversées il restera à Mathilde un grand vent et une grande lumière intérieurs, et elle y aura gagné son aura de fille du roi d’Egypte, mais cette «illégitimité» et les péripéties de sa mère la mettront en difficulté avec certains membres «bien-pensants» de sa famille, que ce soit du côté rural (surtout quand, artiste et célibataire, elle habitera le quartier Pigalle ! Le Moulin Rouge !) ou du côté de la famille parisienne où Clémentine et Mathilde seront mises en marge par certaines personnes. Mais Clémentine, forte femme, veuve, va gérer carrière et atelier ! Le père adoptif de Mathilde décède en 1886. La mère et ses deux enfants sont alors domiciliés au 3 rue Pergolèse dans le 16è arrondissement; Mathilde, « poussée par une véritable vocation, et après une seule année d’étude » avec Madame Leroux (de la Société des amis des arts du Havre ?), envoie au Salon des Artistes Français du 1er mai 1889, a à peine 18 ans, une aquarelle qui passe le barrage sélectif du jury.

Le 1er mai 1889, Mathilde Delattre accroche sa première aquarelle « Fleurs » au Salon des Artistes Français. A droite, photographie de l’artiste vers 1890. A gauche, portrait de la mère de l’artiste, qui aura un rôle déterminant dans sa carrière.

C’est l’époque des scissions des salons, et les deux années suivantes, Mathilde rejoint la toute récente Société Nationale des Beaux-Arts (celle de « jeunes peintres lassés par l’autoritarisme académique», et qui d’emblée accueille des femmes), avec des aquarelles: Etude de fleurs (2 oeuvres) en 1890 et Fleurs en 1891. En l’état actuel des recherches, il y aurait ensuite un « trou » d’expositions de 1892 à 1894, avant que la jeune artiste ne rejoigne les Salons de façon assidue. On ne peut exclure un événement intercurrent, mais durant cette période, Mathilde travaille, et elle recherche un atelier pour développer son art. Sans doute, malgré son admission précoce aux Salons, lui a-t-on suggéré d’élargir sa palette: mais les Beaux-Arts (dont l’enseignement est gratuit) sont encore interdits aux femmes, l’ouverture n’en sera discrète qu’en 1896, réelle en 1900 seulement, Mathilde arrive un peu trop tôt. Alors sa mère Clémentine finance des maîtres, deux peintres très académiques, Henry Eugène Delacroix et Gaston Casimir Saint-Pierre.

Les maîtres: Henry Eugène Delacroix (1845-1930) et Gaston Casimir Saint-Pierre (1833-1916)

Henry Eugène Delacroix est originaire de Valenciennes et donc un « pays », mais il est peu probable que Mathilde, trop jeune, ait fréquenté son école à Cambrai ou même à l’Académie de Valenciennes. Il réalise en particulier les fresques de l’église de Solesmes. En 1878 il épouse l’aquarelliste Pauline Garnier, qui deviendra Vice-Présidente de l’Union des Femmes Peintres et Sculpteurs (UFPS). En 1888, il devient membre de la Société des Artistes Français, chargé de l’organisation du Salon. En 1903, il est nommé Rosati d’honneur. Mari et femme tiennent atelier au 22 rue de Douai à Paris (9è) et c’est très certainement là que Mathilde rejoint son cours vers 1892.

Gaston Casimir Saint Pierre est un peintre orientaliste. Il fait plusieurs voyages en Afrique du Nord, est auteur de nombreux portraits, et a peint la fresque « Marseille » de la brasserie Le Train Bleu à la Gare de Lyon. Il habite le 17è arrondissement. Très introduit au SAF, il cautionne également l’UFPS, dont il est invité d’honneur à chaque banquet annuel.

Mathilde travaille natures mortes et portraits. En 1894 elle peint sa tante Anna Delattre à Crespin (le plus ancien portrait connu à ce jour). Dans une nature morte Dans la cuisine, identifiée sur un site d’enchères, l’artiste a peut-être représenté ses propres céramiques, car elle s’adonne aussi alors au décor sur céramique. En 1897 elle réalise le portrait de son amie et collègue Jeanne Tournay-Bourillon (1867-1932). Les deux jeunes femmes sont élèves des mêmes maîtres, et exposeront dans les mêmes salons (Société des amis des arts de Seine et Oise, SAF, UFPS); comme cela se pratique dans les ateliers, les artistes se peignent réciproquement. La critique commencera à remarquer Mathilde Delattre avec ce portrait : « Les effets de couleur, le vert dans les yeux et les pointes de rouges sont les bien venus dans les œuvres de Melle Delattre, mieux vaut le croire, enfin il y a une variété de tons et une sensibilité d’une douceur exquise dans ses oeuvres ». Quant à Mathilde, c’est Eugénie Sommer (ensuite Hauptman), une artiste tchèque qui se perfectionne au portrait à Paris, qui effectuera en 1890 son seul portrait actuellement connu.

De gauche à droite: portrait de Jeanne Tournay (1897, musée du Gévaudan-ville de Mende); portraits d’Anna Bar-Delattre (1894) et d’Amélie Rifault (1897), coll. particulières.

Dans le grand portrait de sa mère, exposé en 1898, et dont la critique souligne la majesté et le bel éclat de la facture (cf. photographie plus haut), Mathilde s’attache à mettre en avant la respectabilité et l’importance de Clémentine. Ironie du sort, cette grande toile, restée à Paris, sans doute chez l’encadreur, s’est entièrement craquée en 1948 quand l’artiste boucle son inventaire… 

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