Les Salons, et l’Union des Femmes Peintres & Sculpteurs
Le Salon des Artistes Français (SAF), régi depuis 1881 par la Société des Artistes Français, se tient au printemps chaque année, au Grand-Palais à partir de 1900, le public est nombreux, il reste le salon le plus fréquenté, malgré les scissions (Salon des Artistes Indépendants en 1884, Société Nationale des Beaux-Arts en 1890 – à laquelle on a vu que Mathilde Delattre participera brièvement avant de revenir au SAF -, Salon d’Automne en 1903, etc…). Le SAF fait des bénéfices : droits d’entrée, vente des catalogues, cotisations des sociétaires. Il a également la couverture de presse la plus importante. Son soutien financier aux artistes est aussi plus important que celui d’autres salons, différents prix y sont attribués, des acquisitions y sont faites par l’état et par la mairie de Paris, d’où son attrait conservé pour les artistes. Mais cette réalité économique du SAF passe peut-être devant les considérations esthétiques : sous la pression des galeries, les transformations de l’art auront lieu ailleurs ! Le SAF restera cependant encore un pivot de l’art français des années après les scissions – dans la «tradition» des Beaux-Arts: «l’artiste doit toujours dessiner ce qu’il voit » y dira le critique « O. Mega » en 1905, condamnant les courbes de l’Art Nouveau. Anecdote, le SAF attribue des récompenses quasi-exclusivement aux artistes français, et les notices de Mathilde Delattre préciseront bien « née au Caire, de parents français », affirmation dans laquelle la virgule prend toute son importance !


A gauche, le vote du jury du Salon des Artistes Français en 1903; à droite, des membres de l’Union des Femmes Peintres & Sculpteurs à la fin du XIXè siècle.
L’autre grand lieu d’exposition de Mathilde Delattre est le Salon de l’Union des Femmes Peintres & Sculpteurs (UFPS). La formation académique est toujours interdite aux femmes, très minoritaires dans les Salons bien que très nombreuses à s’adonner à l’art, et les mouvements d’émancipation artistique des femmes progressent difficilement face à la réaction de la société au XIXè siècle. L’UFPS est créée en 1881 par Hélène Bertaux, sculptrice qui milite pour l’accès des femmes à l’enseignement des Beaux-Arts et au Prix de Rome, et crée l' »Union » en lieu d’entraide pour faciliter le travail artistique féminin. L’UFPS développe des mécanismes de solidarité, et outre les divers prix, une tombola est par exemple organisée pour laquelle des oeuvres sont achetées aux débutantes, tandis que les consoeurs confirmées en offrent. Mathilde Delattre bénéficie sans doute indirectement, pour son accès aux Salons dès 1889, de ce militantisme. En 1897 pour son premier accrochage à l’Union, un jury d’admission vient cependant d’y être institué, comme au SAF. En effet Virginie Demont-Breton, nouvelle présidente, s’oppose alors à Hélène Bertaux en instituant ce jury (en partie composé des artistes déjà primées, en partie élu chaque année) afin de redonner de la crédibilité au salon de l’UFPS, à qui la critique reprochait trop d' »amateurisme ». Cette rivalité donne lieu à un débat au sein de l’Union, entre d’une part nécessaire espace de sororité comme souhaité par la fondatrice, pour épauler les artistes débutantes « snobées » par les grands Salons et les critiques d’art très majoritairement masculins, et d’autre part une évolution vers plus de professionnalisme. Le salon de l’UFPS finira par être reconnu comme un lieu important d’exposition; il se tiendra comme le SAF au Grand Palais à partir de 1901, et sera inauguré chaque année par le chef de l’état ou un de ses représentants.
On a débattu a posteriori sur la stratégie de l’Union, sur l’opportunité d’une «discrimination positive » des femmes peintres et sur la tentation d’Hélène Bertaux de faire émerger un « art féminin »; mais comme le conclut Bérangère Wasselin dans son mastère 2 d’histoire de l’art, une des rares analystes universitaires à ce jour sur l’UFPS, dont l’histoire nécessite cependant d’être développée de façon plus approfondie : «Au regard du sexisme réactionnaire qui prévalait à la fin du XIXè siècle, l’Union a été un moteur de reconsidération des artistes femmes, et a permis une évolution vers davantage de mixité en art». Mathilde Delattre restera fidèle à l’Union jusqu’en 1939, y compris après l’obtention de son 1er prix de 1903 (qui la fait exposer dès lors hors-concours, et donc sans prix possible): mais fidèle à l’esprit de la fondatrice, et membre du Comité, elle y fera la promotion de ses propres élèves.
Artiste, femme & célibataire
Mathilde Delattre restera célibataire et parviendra à mener une carrière fort honorable, soutenue par sa mère qui « gérait » les nombreuses visites à l’atelier en lui permettant de se concentrer sur sa peinture et son enseignement. Sans dotation financière (excepté peut-être le pécule égyptien de Clémentine ?), elle vivra de son art au moins jusque dans les années 30, contrairement à nombre de ses consoeurs qui délaisseront la peinture pour le mariage, ou en raison de celui-ci.
Elle est très active à l’UFPS mais participe également à d’autres expériences artistiques féminines, comme celle des « XII » à la Bodinière. Il s’agit d’un collectif d’artistes femmes qui décide d’exposer ensemble leurs oeuvres, expérience audacieuse et inédite pour l’époque. Ces douze artistes de différentes nationalités exposent à trois reprises, en 1899, 1900 et 1901 au théâtre de « la Bodinière« , théâtre d’application du 18 rue Saint Lazare dans le 9è, un café-concert qui organise également des expositions et des conférences.

Elle est une des plus jeunes de ce groupe, où l’on retrouve Eugénie Faux-Froidure, alors considérée comme la « grand-maître » de l’aquarelle florale par la critique, mais aussi Julia Beck, une peintre naturaliste suédoise en opposition avec son académie, ou Maria Slavona, impressionniste allemande dont l’art sera plus tard considéré comme « dégénéré »…
Mathilde Delattre participera également de 1908 à 1911 aux expositions du Syndicat des Artistes Femmes Peintres et Sculpteurs, nouvellement créé.